Arrivée de Firmin

Les gardes, nonchalamment appuyés sur un mur du châtelet d'entrée, virent s'approcher, d'un pas lent mais décidé, un homme d'âge mûr qui semblait jà avoir vécu plusieurs vies. Lorsqu'il fut arrivé à portée de voix, il leur lança, d'une voix grave et un peu éraillée:

Ayé! Mes brav's! V'là l'Firmin qui arriv' de Bazouges, dret comm' ça! I'a marché tout l'ch'min jusqu'icitte, pis j'vous dis qu'c'est tout un' trotte! Mais ses vieilles jamb's en ont vu d'aut's, ça c'est çartain!

Ouais ben vous avez l'air pas mal mollassons, mes garçons, accottés d'même. C'est-y qu'vous manqueriez d'disciplin'?

Galhard donna un coup de coude à Bartoloméo et les deux regardèrent l'homme s'approcher. Vexés de se faire traiter de mollassons par ce vieil hurluberlu, ils s'approchèrent de lui en essayant de se donner un air un peu menaçant.

C'est d'toi qu'tu parles de même, vieillard? Bartoloméo éclata de rire et se tourna vers son compère. T'as entendu ça, Gal? Le gars y parle de lui comm' si c'était un autre quidam!

Galhard réprima un sourire et regarda le nouveau venu d'un air sévère. Firmin, de Bazouges ou d'ailleurs, t'as rien à faire ici. Passe ton chemin et on ne te fera pas de mal.

L'homme eut l'air surpris. Comment ça, que l'Firmin pass' son ch'min? I'en est pas question, i'vient s'installer icitte! Sa vieill' est morte pis sa fille est mariée, i'ya pu rien d'aut' que son travail dans vie. Ça fait que vous allez arrêter d'faire vos fanfarons pis vous allez l'laisser passer.

Bartoloméo fronça les sourcils et porta la main à son épée. Insolent! Tu vas apprendre à respecter les gardes d'Azé!

Galhard lui mit la main sur l'épaule pour l'arrêter sans cesser de toiser l'homme, le regard noir. Si t'as plus que ton travail, Firmin, je te suggère de modérer ton attitude, sinon c'est pas juste ton labeur mais aussi ta vie que tu vas perdre. Je te le répète, t'as rien à faire ici, c'est un domaine seigneurial et à ce que je sache, t'es pas invité par les seigneurs. Passe ton chemin.

Les deux gardes s'inclinèrent respectueusement devant leur belle maîtresse et Galhard se donna un air important en répondant:

Oh, ce n'est rien, ma Dame. Il ne s'agit que d'un maraud qui cherche à entrer chez vous sans autorisation. Il dit se nommer Firmin et venir du village de Bazouges, non loin d'ici. Nous étions en train de le chasser, ne vous inquiétez pas.

Arielle eut un sourire gentil pour le vieil homme. Ah, bien sûr! Firmin Durand, c'est bien cela? Oui, vostre fille m'a parlé de vous, nous vous attendions. Soyez le bienvenu à Azé.

Elle se tourna vers les deux gardes ébahis. J'avais omis de vous en parler, je m'en excuse; j'ai engagé ce monsieur afin de m'aider à entretenir les jardins du domaine, et surtout la roseraie qui mande tant d'attentions. Tout cela est trop pour moy seule, d'autant plus dans mon état.

Messire Firmin est donc nostre nouveau jardinier. Réservez-lui un accueil chaleureux, je vous prie.

Avec un sourire charmant, elle referma la fenestre et le carosse s'ébranla à nouveau pour se diriger vers l'entrée du manoir.

Confus, les deux gardes s'inclinèrent à nouveau lorsque leur maîtresse referma sa fenêtre et se regardèrent un instant avant de reporter leur attention sur le vieil homme.

Heu... Eh bien... Tu as entendu, Firmin... Tu peux y aller. Hum... Bienvenue à Azé. marmonna Galhard.

Les deux gardes retournèrent à leur poste en faisant mine de ne plus s'intéresser au jardinier.

N'empêche, il est bizarr' et insolent, c'vieux filou... chuchota Bartoloméo.

Tais-toi! Allez, sors ton jeu d'dés, j'ai envie de t'donner une râclée, comme d'habitude... lui répondit Galhard d'un ton bourru.

Encore charmé par la délicieuse apparition de la Dame d'Azé, le jardinier demeura quelques instants planté là, à regarder le carosse s'éloigner de l'autre côté du mur d'enceinte, ravi d'avoir trouvé une si belle et gentille maîtresse. Puis il s'avança vers la guérite et fit un petit salut de la main aux deux gardes qui feignaient de l'ignorer.

Sans rancune, les drôles. L'Firmin y'a pas d'mauvais sentiments, i'sait qu'vous faites vot' travail. 'Faut just' vous décoincer d'vos bravades d'mâchefers, mais vous avez quand même l'air d'bons diab's.

À la revoyure!

Et il se dirigea de son pas lourd vers la grande demeure que l'on pouvait apercevoir à travers les arbres, sentant dans son dos les regards des deux gardes.